Lecture de « Highlands », de Jérôme Magnier-Moreno.
Livre emprunté à la médiathèque Jacques Duhamel de Sanary-sur-Mer, cote RP MAG. Publié en 2024, Ed. Gallimard, collection Le sentiment géographique.
L’écriture et les tableaux qui accompagnent le récit au point d’en faire partie sont superbes.
En lisant ce livre, j’ai pensé à ce que disait Hermann Hesse de la terre natale qui est bien souvent notre enfance ; ce moment de notre vie où les choses semblent si stables, éternelles sans doute, qu’il arrive bien souvent, quand un désastre nous touche alors que nous sommes devenus grands, qu’on veuille rembobiner le fil de notre histoire pour revenir à cet instant là pour reprendre souffle, s’abriter, être consolé dans cette « pure soie de l’enfance » (p. 72), tout remettre dans l’ordre.
Mais comme l’auteur le constate en repartant dans les Highlands où il fut si heureux, un été de son enfance, avec sa mère aujourd’hui disparue et alors qu’il vit une rupture, on ne peut réellement revenir au vrai lieu de notre enfance car s’il fût, il n’est plus, il ne peut plus exister – et c’est normal, c’est le cours de la vie, cela.
C’est qu’on a grandi et qu’il s’agit, un jour, de cesser de construire le présent uniquement par rapport au passé.
On aura beau revenir en arrière symboliquement en retournant là où on a été heureux et insouciant, quand une mère ou un être cher pansait les bobos ou tenait la main pour ne pas qu’on se perde sur le chemin ou berçait tendrement après qu’on se soit réveillé d’un cauchemar en disant « c’est fini, c’est fini, là… n’aie pas peur » ; on aura beau convoquer toutes les ombres et mêmes les amis des ombres ; on est devenu grand, un jour.
Oui, vraiment, un récit très beau sur ce qui n’est plus.
Oui, toujours regarder au-delà de ce qu’on a perdu.
au-delà de ce qu'on a perdu
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Highlands, au-delà de ce qu’on a perdu.
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Au-delà de ce qu’on a perdu.
Après la publication de la note « S’aimer comme on est, imparfait », plusieurs d’entre vous m’ont demandé si je pouvais publier encore une fois le texte ci-après. Alors, le voilà. Je vous remercie tous pour votre fidélité.
Quand arrive une catastrophe dans une vie, on tombe, et c’est normal parce que c’est aussi dans le corps que les émotions se ressentent. Au moment d’un deuil, par exemple ou de l’une de ces morts quotidiennes que nous vivons tous, maladies, séparations, pertes d’emplois, injustices, on ressent comme un trou béant à l’intérieur de soi : tout s’est écroulé, pulvérisé par ce qui vient de se passer, ouvert aux quatre vents ; de même, l’espace autour de ce qui reste de notre corps est vide puisqu’il n’y a plus de main à tenir ni de joues à caresser ni même de voix à entendre ou de cadeau à faire, voire plus rien à faire, on se sent plus rien du tout. On est perdu dans un lieu obscur et on a beau tendre les bras devant soi, on n’arrive pas à toucher quoi que ce soit pour se repérer et on a beau ouvrir le plus grand possible les yeux, on ne voit rien que le noir.
Et puis, c’est la vie qui gagne, comme elle gagne toujours un jour ou l’autre. Le sang n’a pas cessé de circuler, ni le cœur de battre, ni la peau de ressentir et d’ailleurs, justement, on sent le vent à nouveau, on remarque qu’il est doux, presque chaud et même joueur avec quelques mèches de cheveux. C’est la mécanique de la vie. Il faudra du temps pour se relever car la catastrophe a rouillé et les membres et l’âme. Ce sera douloureux. On y arrivera. On y arrive. Toujours. Il faut persévérer. On persévère.
Après, on vit. Autrement. C’est une sorte de résurrection, diraient certains. On n’est plus le même. Rien n’est plus pareil. Certains lieux ou certaines choses n’ont plus le même goût ; peut-être même plus de goût. Mais il y a d’autres lieux, d’autres choses. Revient aussi ce qui a toujours été et sur lequel on s’est toujours appuyé : le risque de vivre pleinement qui, somme toute, est un magnifique paysage avec des creux et des bosses, des pleins et des vides, des déserts et des jungles, des petits chemins et de grandes avenues, des hivers rudes et des étés jouissifs, des plages de sable et de hautes falaises, des petits fossés où coassent des grenouilles et d’impressionnants abîmes vertigineux, des petits rus chantants et des torrents impétueux, des habitudes de toujours et de nouvelles façons de faire totalement imprévues, des arbres isolés au milieu d’un champ ou au bord d’un chemin et des grandes forêts merveilleuses où fleurissent des violettes, des rires et des larmes, des fleurs aussi et des fleurs et des fleurs dans les bois, dans des pots, dans des vases, Mozart qui ne fut jamais la proie du désespoir et Barbara et sa plus belle histoire d’amour et le temps qui ne se rattrape plus, et tous ces gens qui vont et viennent, ceux qu’on a connus, ceux qu’on connait, ceux qu’on connaîtra.
C’est le sens de la vie.
Regarder au-delà.
Au-delà de ce qu’on a perdu.